Face aux crises, le numérique doit devenir un thème de campagne

Par Christine Balagué, titulaire de la chaire réseaux sociaux de Télécom Ecole de Management

 

En pleine période électorale, alors que les candidats à la présidentielle ont bien compris l'intérêt des réseaux sociaux pour faire campagne, le numérique ne figure pas dans leurs discours et se trouve relégué à la périphérie des programmes.

Le numérique, source de croissance et d'emploi

Pourtant, les technologies numériques ont bouleversé notre quotidien. Sur leurs ordinateurs, téléphones portables ou tablettes numériques, 38,7 millions de Français (source Comscore, 2011) utilisent les réseaux sociaux, et leur lien social - les communautés auxquelles ils appartiennent - se voit modifié par ces nouveaux types d'échange. 30 millions de Français pratiquent également le e-commerce.
Le numérique est source de croissance économique : selon une étude de McKinsey en 2010, les PME françaises ayant un indice numérique fort ont progressé de 7 % par rapport aux autres PME qui n'ont progressé que de 3 %. Depuis quinze ans, le numérique a créé plus de 700 000 emplois nets, et devrait en générer 450 000 de plus d'ici à 2017.
Quel autre secteur présente les mêmes résultats ?
Pourtant, malgré la période de fort chômage actuelle, la croissance numérique n'est pas considérée comme une solution pour sortir de la crise.

Le manque d'accompagnement politique créé de nouvelles inégalités

Le monde de demain sera numérique mais l'économie française est déjà en retard. En terme de PIB, la filière digitale ne représente que 3,5 % du PIB hexagonal contre respectivement 5,5 % et 5 % en Angleterre et en Allemagne. Seules 2,1 % des sociétés créées en France le sont dans le numérique. Comment expliquer ce chiffre plutôt faible comparé à d'autres pays ? Principalement en raison d'un cadre légal fluctuant régulièrement, et d'un non-accompagnement des PME numériques. On peut regretter, par exemple, l'absence d'un Small Innovation Business Act, favorisant comme aux Etats-Unis les PME innovantes, dans le cadre des marchés publics. Alors qu'en France, seulement une PME sur deux est visible sur Internet, l'accompagnement de startups et le développement d'un écosystème propice dans le secteur du numérique n'a pas été mis en place par les politiques. Ce thème n'est toujours pas abordé par les candidats.

Sur le plan social, le manque d'accompagnement politique se fait également sentir. Aujourd'hui, la France se situe au 20ème rang mondial en matière de taux d'équipement informatique. 30% des français sont privés de connexion internet. Les écarts s'accroissent dans une société qui compte de plus en plus de « Digital Natives » (ceux qui sont nés avec les nouvelles technologies), mais où les plus âgés, ceux qui ont les revenus les plus faibles et les niveaux de diplômes les plus bas ont tendance à s'exclure du numérique. Enfin, on constate encore des disparités territoriales importantes, avec de nombreuses régions sous-numérisées. Peu de choses sont faites pour lutter contre l'émergence de ce « Tiers Net ».

Libertés individuelles, neutralité du Net, e-santé... des enjeux majeurs oubliés par les candidats

Le numérique pose de nombreux enjeux de sociétés majeurs pourtant peu évoqués par les candidats focalisés sur Hadopi. On peut citer ainsi :

- La question de la « privacy » et des données personnelles laissées quotidiennement sur le web par les millions d'internautes français, un enjeu majeur en termes de libertés individuelles.
- La neutralité du Net, garantissant à tous l'accès à l'information sur le web.
- La e-santé, une réponse au vieillissement de la population et à la prise en charge de la dépendance.
Aucun de ces thèmes n'a pourtant la faveur des candidats à l'élection présidentielle.

La classe politique doit s'emparer du numérique

Le numérique constitue un moteur pour l'emploi, la croissance économique, l'éducation, l'enrichissement du lien social, l'expression de la citoyenneté, la dynamisation des territoires, etc.
La véritable révolution est là : l'appropriation d'internet et de ses usages par chaque citoyen.
Au travers du QG Numérique que nous lançons avec les principaux acteurs de l'industrie d'internet, nous souhaitons que la classe politique s'empare de la question numérique et lui donne toute sa place dans le débat public.
Faisons de la pédagogie et de la communication dans les écoles, les lycées, les administrations, les entreprises et jusque dans les foyers. Parlons des usages bénéfiques que le corps social tire du numérique et sortons des discours de la peur (téléchargement illégal, pédophilie...). Mettons en place des programmes ambitieux pour lutter contre la fracture numérique. Stabilisons l'écosystème du secteur numérique pour favoriser l'émergence de champions industriels, au-delà des seuls fournisseurs d'accès et opérateurs télécoms.

La France manque de souffle. Elle peut trouver en partie sa respiration dans le numérique, mais il est urgent d'agir !